Laurent Hendschel: textes fondateurs de la planification linguistique du wallon.

 dierin rapontiaedje - last update: 2004-01-24.

Menu:


Quelques propositions en vue de l'établissement d'une langue wallonne écrite commune.


Principes de travail

Choix et hiérarchisation des critères (forme majoritaire, forme pure).

Le lexique.

Principales divergences dialectales: de la théorie à la pratique.


Principes de travail.

Il est peut-être utile d'énoncer quelques principes de base qui devraient marquer le champ et les limites de tout travail d'unification de la langue.

1. Le travail porte bien sur le wallon. Il existe toujours une certaine tendance à appeler "wallon" tous les dialectes de Wallonie. Or l'ouest du Hainaut parle picard, la Gaume parle lorrain, la région d'Arlon parle luxembourgeois et quelques villages parlent champenois. Les notes qui suivent ne concernent que le domaine wallon et ne prétendent absolument pas s'appliquer aux autres langues régionales de Wallonie, qui doivent d'ailleurs avoir les mêmes droits et ont le même besoin d'être défendues.

2. Répétons-le: le wallon commun serait une langue écrite. Tous les dialectes, tous les accents méritent d'être respectés (à l'école, p. ex.): ils sont les sources qui nourrissent la langue wallonne toute entière. Le wallon commun n'est utile que quand un dialecte ne suffit plus: pour tout ce qui concerne le domaine wallon tout entier (livres d'écoles, revues, journaux, littérature, etc.).

3. Il vaut mille fois mieux "construire" un wallon commun à partir de ses quatre dialectes que d'essayer de choisir l'un d'entre eux comme langue commune. Ainsi, chacun apporte ses propres richesses au trésor commun et chaque Wallon retrouve, dans la langue commune, l'image ou le goût de son propre dialecte.

Choix et hiérarchisation des critères

Si l'on établit plusieurs critères, il arrive que plusieurs soient valables pour un même cas; il arrive aussi qu'ils donnent des résultats différents. Il est donc important d'établir un ordre d'application de nos différents critères, de déterminer le(s)quel(s) s'appliqueront quand plusieurs seront valables.

1. Forme majoritaire (Li pus lådje oyuwe): cette règle est absolue. Si celle-ci s'applique, les autres ne jouent pas. C'est évidemment le moyen le plus démocratique et le plus sûr pour que chacun ait l'occasion de se reconnaître dans la forme commune.

sud ouest centre est commun

tchambe tchambe tchambe tchambe (4) tchambe

La forme majoritaire peut s'obtenir en découpant un mot et en examinant ses divers éléments un à un:

èst-è èst-é èst-é ost-é (3:1) èst-

(3:1)

2. Forme plus purement wallonne, si elle est facilement reconnaissable (li sorwalonde)

pouss-îre poûss-iêre, êre pouss-êre pouss-îre (2:1:1) pouss-îre

Dans ce cas précis, on peut encore justifier le choix par la raison suivante: la forme "îre" existe également au centre et à l'ouest pour certains mots (bårîre...); elle est donc susceptible d'être reconnue facilement par chacun, ce qui est en fait le critère ultime de choix.

fîr fiér fiér fîr (2:2) fîr

Dans des domaines précis, d'autres critères peuvent apparaître pour résoudre les cas qu'il est impossible de traiter grâce à la règle principale (principe de majorité): privilégier les formes qui apparaissent dans plusieurs dialectes (même si elles sont minoritaires au sein de ces dialectes); privilégier les formes régulières par rapport aux formes irrégulières; privilégier les "séries" régulières, etc.

Lexique

Ces règles sont valables pour tous les niveaux du langage. En ce qui concerne le lexique, il faut pourtant ajouter quelques remarques:

1. la règle du choix de la forme la plus courante ne joue que pour les mots provenant de la même racine, ou, du moins, qui se ressemblent fort (choisir, p. ex., entre "aprèster", "aprèter" et "apruster"...). Quant aux synonymes ou quasi-synonymes provenant de racines différentes, il est inutile de choisir. Les deux mots existeront dans le lexique de la langue commune, tout simplement (p. ex. "toumer" et "tchêr"; "ratinde" et "rawårder"; "man.nèt", "måssî", "niche" et "yôrd", etc.).

2. Ce peut également être le cas de mots provenant de la même racine mais ayant divergé assez pour qu'on ne voie plus en eux des mots d'origine identique: p. ex. "chèner" et "sonler", "magnî" et "mindjî", etc.

3. Il y aura aussi des mots, comme c'est d'ailleurs déjà le cas, qui auront plus d'un sens: p. ex. "brêre" signifiera soit "pleurer" soit "crier"; "bouter" signifiera soit "pousser" soit "travailler (dur)"...

4. Les archaïsmes, mots rares ou locaux et autres termes techniques sont évidemment tous les bienvenus. P. ex. peuvent cohabiter comme synonymes "pun" et "pome".

Principales divergences dialectales: de la théorie à la pratique

On n'insistera pas ici sur les phonèmes qui, de toute évidence, appartiennent à l'ensemble du domaine wallon (/b/, /p/, /i/, etc.). Ni sur les traits phonétiques particuliers à des zones très réduites (ex: "tchåntè" ou "cöp" à Neufchâteau; "cônp" à Jodoigne; son intermédiaire entre "êre" et "âre" en basse-Sambre, entre "ô" et "oû" en Entre-Sambre-et-Meuse, etc.) Les exemples qu'on trouvera ci-dessous sont plutôt destinés à mettre en évidence les traits phonétiques particuliers au wallon ou, dans certains cas, à un de ses principaux dialectes.

Ne sont retenus que les cas permettant d'établir une règle générale applicable à d'autres cas similaires.

commun

est

centre

ouest

sud

1. tchambe

tchambe

tchambe

tchambe

tchambe

2. djambe

djambe

djambe

djambe

djambe (djan.me)

3. dint

dint

dint

dint

dint (dèt)

4. crosse

crosse

crosse

crousse

crosse / crousse

5. bin

bin, bé

bin/bén

bén/bîn/bin

bin

6. pèchon

pèhon

pèchon

pèchon

pèchon

7. haye

hâye

aye

haye

hâye, hauye

8. lård

lård / lârd

laurd

lârd / laurd

lârd / laurd

9. sipène

s(i)pène, s(u)pène

s(i)pène

(è)spène, s(i)pène

s(i)pène, s(u)pine

10. bwagne, mwârt

bwègne (bwagne), mwért (mwart)

bwagne, mwârt

bôgne (bwagne), mô(u)rt (mwârt)

bwagne (bôgne), mwârt (môrt)

11. botèye

botèye

botèye

boutaye, boutèye

botèye, boutîe, botaye

12. tchèsseû

tchèsseû

tchèsseû

tchèsseû, cacheû

tchèsseû

13a. brès

brès'

brès

bras

brès

13b. glèce

glèce

glace

glace

glèce, glace

14. bièsse

bièsse

bièsse

bièsse

bièsse (bésse)

15. awîye

awèye, awîye

awîye

èw-îye

awîye awèye, agûye

16a. s(i)twèle

s(i)teûle, s(u)teûle

s(i)twale, s(i)twèle

s(i)twèle, (è)stwèle

s(u)teûle, s(u)twaye

16b. pwêre

peûre

pwâre, pwêre

pwâre, pwêre

peûre, pwâre

16c teut, freud

teût (tût), freûd (frû)

twèt, teut; frwèd, freud

twèt, teut; frwèd, fwès, freud

teût, teut, tèt, twat, freûd, freud, frès, fwad, frwad

17. èspwêr

èspwér

èspwêr, espwâr

èspwêr, espwâr

èspwêr, espwâr

18. tchapia

tchapê (tchapia)

tchapia

tchapia

tchapê, tchapé

19. touwer

touwer

touwer (tuwer)

tuwer

touwer / tuwer


Laurent Hendschel, 1993.


Å raploû-tot des walons

I. Un nouveau projet de dictionnaire général de la langue wallonne

Un projet visant à établir un Dictionnaire général de la langue wallonne a déjà existé (v. BDW). Il a échoué pour plusieurs raisons. Il était fondé sur des enquêtes épistolaires; c'était là une méthode très lourde; de plus l'"authenticité" des témoignages recueillis n'était pas garantie, ce qui a provoqué le départ de J. Haust, longtemps le principal animateur du projet. Toutes les langues régionales romanes de Wallonie étaient reprises, ce qui ne simplifiait pas les choses. Enfin, les moyens techniques de l'époque ne permettaient pas aussi facilement qu'aujourd'hui de gérer une masse de renseignements qui a rapidement dépassé les espoirs des auteurs. Mais il semble aujourd'hui possible de réussir, dans la mesure où:

* on se limite au wallon proprement dit, sans essayer d'englober les autres langues régionales romanes de Wallonie;

* on dispose d'outils informatiques qui simplifient les tâches de classement, comparaison et encodage;

* et surtout on peut se baser sur les nombreux travaux déjà réalisés. Le nouveau projet n'est qu'une tentative de compilation des travaux antérieurs.

Une autre leçon importante de l'échec de ce premier projet de dictionnaire général est qu'il ne faut pas viser l'exhaustivité. L'objectif premier de la SLLW était de sortir d'abord une édition de petit format et de la compléter ensuite. Mais cette idée a été abandonnée pour intégrer les renseignements qui ont rapidement afflué en masse dans les bureaux de la SLLW. Résultat: une richesse extraordinaire... pour un dictionnaire qui s'arrête à "AP" 36 ans après le début des travaux.

Mais au fond, pourquoi faire, un "dictionnaire général"? Le regard qu'on pose sur une langue est capital: si les gens n'aiment pas leur langue, où la considèrent mal ou faussement, ils la laissent mourir sans éprouver le moindre remords. Etablir un dictionnaire "général", c'est d'abord contribuer à changer le regard que nous posons sur le wallon: ce n'est pas un ensemble hétéroclite de dialectes plus ou moins riches et survivant dans un isolement artificiel. C'est d'abord une langue - comprenant des modalités. Elle dispose de nombreuses richesses... pour le moment dispersées. Un dictionnaire général pourrait constituer une vitrine du wallon, pour les Wallons eux-mêmes mais aussi pour l'extérieur. Il n'est peut-être pas tout à fait utopique d'espérer que ce travail pourrait avoir quelque utilité pour les Wallon(ne)s, par le rapprochement "surprenant" de dialectes dont on finissait par se demander s'ils avaient bien quelque chose en commun.

Jusqu'à présent, nous ne disposons quasiment que de dictionnaires locaux ou régionaux. Quelles que soient leurs immenses qualités, il faut également reconnaître qu'ils renforcent notre tendance au localisme en utilisant chacun leur propre orthographe, en ne montrant pas que la plupart des racines, des tournures, des expressions... sont communes à l'ensemble du domaine wallon; ils tendent à accréditer l'idée qu'il y a cinquante langues en Wallonie, incompréhensibles et étranges. Ce n'est pas un crime de considérer qu'il ne serait pas inutile de passer à une deuxième étape: rassembler les richesses locales de notre langue dans un seul ouvrage.

Ce dictionnaire est enfin une vitrine pour une forme de langue écrite commune, dont nous parlerons ensuite. Disons déjà que le système adopté tente de trouver un équilibre entre l'unité et la diversité. Toute personne en Wallonie, quel que soit son parler, devrait théoriquement retrouver dans ce dictionnaire les mots comme elle les prononce, du moins dans la mesure où les mots en question ont été enregistrés dans des dictionnaires antérieurs (v. lettre A en annexe).

Comment a-t-on procédé?

1. Johan VIROUX, initiateur du projet, a établi une liste de 400 dictionnaires, lexiques, glossaires, mémoires, etc. Cette liste n'est certainement pas exhaustive. En cherchant un peu, on pourrait facilement ajouter encore des ouvrages. Si cette liste n'est pas complète, on peut quand même se dire qu'elle est plus qu'une bonne base, et qu'aucun dictionnaire important ne devrait nous avoir échappé. Et quand bien même... Certains ouvrages ont déjà été ajoutés depuis le début des travaux. L'avantage de l'informatique est que la base de donnée est "ouverte à l'infini": on pourrait sans problème ajouter encore beaucoup d'autres dictionnaires, les reclasser automatiquement, etc.

Parmi ces 400 dictionnaires, seize (quatre par zone dialectale) ont été jugés plus importants que les autres, parce que ce sont des monuments incontournables (Haust...), et / ou parce qu'ils sont dialectalement représentatifs (dictionnaires de Ciney, Cerfontaine, Malmedy, Bouillon...). Tous ces dictionnaires sont encodés intégralement, dans leur orthographe originale avec, éventuellement, des renvois vers une forme normalisée. Les notes étymologiques ou folkloriques ainsi que les illustrations ne sont pas reprises (il y a parfois des renvois vers une note ou une illustration particulièrement intéressantes).

Les autres dictionnaires seront encodés par la suite, non pas intégralement (sauf exceptions à déterminer) mais uniquement dans la mesure où ils apportent encore des éléments neufs (nouveaux mots, sens, expressions...).

Certaines régions sont mal représentées dans le corpus de dictionnaires: notamment le centre et l'est du Brabant wallon (centre-wallon), la région de Huy (est-wallon) et l'Ardenne (sud-wallon). Mais, répétons-le, rien n'empêche d'encoder des dictionnaires qui paraîtraient à l'avenir...

2. Tendre à une normalisation écrite de la langue wallonne, c'est aussi - forcément - établir une norme orthographique, choisir entre les orthographes possibles.

Le mot "choix" peut sembler bizarre: n'y a-t-il pas une orthographe wallonne, le système Feller? Oui, mais s'il y a un système Feller, il y a autant de manière de l'appliquer que d'associations, de cercles littéraires, voire d'écrivains. D'accord, les divergences ne portent que sur des points de détail; les règles essentielles du système sont acceptées par tous... N'empêche que les divergences sont assez importantes pour être ressenties comme gênantes. Le système employé dans le dictionnaire est, dans les grandes lignes, celui de Walo+ (UCW 1992). Cela aussi pourrait changer, si un autre système se révélait meilleur et pouvait compter sur un consensus plus large (v. p. ex. le système proposé dans Francard 1994, se basant entre autres sur Francard 1981).

3. Il fallait ensuite établir un système de normalisation. Il est en effet impossible de reprendre tous les commentaires (définitions, exemples...), p. ex. du verbe abachî à cinq endroits différents du dictionnaire, pour chaque forme dialectale repérée: abahî, abachî, abachi, abacher, abachè, abache. Dans ses grandes lignes, le système utilisé est décrit ci-dessous (v. chap. 4 & 5). Le problème de la normalisation ne se posait donc pas sous forme d'un grand débat théorique (qu'est-ce que c'est? faut-il le faire?)... mais sous forme d'obligation pratique (comment faire?).

4. Après la phase de conception de la base de donnée, commençait le long travail d'encodage. Où en est-on après un an et demi de travaux? Les lettres A et B sont entièrement encodées; D & E sont quasiment terminées (sauf Francard 1994, à paraître). Un calcul très approximatif laisse espérer que la première phase du travail (encodage de 16 dictionnaires) pourrait se terminer d'ici quatre ans.

5. Comment se présente le dictionnaire?

On y trouve les éléments habituels d'un dictionnaire traductif wallon-français (catégorie grammaticale, traduction(s), exemple(s), renvoi(s)).

On y trouve aussi toutes les formes dialectales repéréres dans seize dictionnaires, autant que possible dans leur orthographe originale, mais certains dictionnaires utilisent des signes difficiles à reproduire ([S24], [E145]...). Si la forme est normalisée ailleurs dans le dictionnaire, la forme dialectale est précédée d'un astérisque:

* ablokèdje ® ablokadje. Réf.: [E34]

Chaque forme est accompagnée de la référence (Réf.) du dictionnaire dans laquelle elle a été trouvée (v. chap. III pour la liste des dictionnaires).

Pour chaque forme normalisée réapparaissent toutes les formes dialectales avec leur référence:

ablokadje, nm 1. ébauche, dégrossissage;- assemblage rapide, provisoire;- (t. sabotier) dégrossissage: c'èst l' planeû qui fêt l' --- dès sabots. Réf.: ablokâdje [O0,O2,O5] ¨ 2. calage, action de caler. Réf.: ablokâdje [O4]; -èdje [E34];- ensemble des ablos (v. ce mot) de support, notamment l'ensemble de cales sur lesquelles repose le bateau en construction. Réf.: ablokâdje [O0]

... ce qui doit permettre à chacun d'utiliser, à sa convenance, soit la forme normalisée, soit la forme dialectale de sa région.

6. A titre de comparaison, voici comment était organisé le projet de dictionnaire général de la Société liégeoise de Littérature wallonne:

"Les différentes formes dialectales d'un même mot se trouveront à leur place alphabétique, avec un renvoi au mot en dialecte liégeois, où toutes les formes synonymes seront nommées" (ASW 1904 N° XVIII p.50).

"Nous n'indiquons pas les variantes faciles et qui vont de soi: -adje à côté de -èdje, -ch- à côté de -h-, -ia au lieu de -ê, -â- à côté de -å-, etc." (BDW, N° 1 & 2, 1/1906, p.47).

Bref, la présentation du projet actuel est fort semblable. Une différence importante néanmoins: la forme vedette n'est pas celle du dialecte liégeois mais une forme "inter-wallonne" normalisée.

7. Dans la très grande majorité des cas, le système de normalisation adopté s'est révélé satisfaisant. Quelques points méritent cependant un mot d'explication.

a. Comme on le voit dans l'exemple ci-dessus (ablokadje), l'application des règles de normalisation amène parfois à créer des formes non attestées. Un mot comme ablokadje n'est pas "artificiel" pour autant; le fait qu'il n'ait pas été trouvé dans nos premiers dictionnaires ne signifie pas qu'il n'existe pas quelque part, puisque la racine du mot est connue dans tous le domaine wallon (v. abloker dans l'échantillon présenté au chap. III); ensuite, ajouter un suffixe -adje (qui est la forme normalisée choisie pour -adje - centre et sud / -âdje -ouest / -èdje -est) à un verbe d'action est une règle tout à fait courante dans tout le domaine wallon; son application ici n'a donc rien d'artificiel. Mais il arrive que le jeu mécanique des règles de normalisation produise des formes normalisées relativement éloignées de la forme de départ: * abahore ® abacheûre (non attesté); * abèy'suté ® abîyeté (attesté). Dans certains cas, il conviendrait peut-être de préférer le flou à des règles de normalisation trop rigide.

b. A noter également que les règles de normalisation phonétiques et morphologiques ont été établies non à partir de dictionnaires mais à partir de l'Atlas linguistique de la Wallonie (ALW), évidemment beaucoup plus précis et plus complet (du point de vue de la représentation de tous les dialectes). Ce qui explique que des formes apparemment majoritaires si l'on consulte les dictionnaires ne sont pas considérées comme telles dans le système de normalisation. Cela tient au fait que les dictionnaires représentent certaines régions plus que d'autres.

c. Il est clair qu'il ne faut pas confondre les variantes dialectales d'un même mot (aprèster / apruster / aprèter) et les synonymes (aprèster - apontyî), et que ceux-ci ne sont évidemment pas "normalisés". On trouvera rawårder à côté de ratinde; ou niche à côté de man.nèt, yôrd et måssî, etc.

Cette conception du "synonyme" s'étend d'ailleurs à des variantes dialectales dont on estime qu'elles sont suffisamment différentes pour ne plus être ressenties comme des variantes d'un même mot: mindjî et mougnî; chèner et sonler, etc. Mais ici, la frontière est peu claire. On verra dans l'échantillon du chap. III, p. ex., que acater a été conservé comme synonyme de atcheter.

d. Quand un mot a plusieurs sens différents d'une région à l'autre, ceux-ci sont additionnés, bien entendu: brêre signifie soit "crier" soit "pleurer"; etc.

II. Quelle planification linguistique pour le wallon?

1. Note terminologique

Si la "planification linguistique" (anglais: language planning) a été pratiquée de tout temps, elle n'a encore qu'un demi siècle d'existence en tant que domaine d'étude; sa terminologie est encore très floue - En français, on parle de "réforme" linguistique, de "normalisation" linguistique, d'"aménagement" linguistique, de "politique" linguistique, etc. -, ses définitions nombreuses (discussion de diverses définitions dans Cooper 1989 pp. 30-45). Comme il faut bien choisir, en voici une fort large: la planification linguistique est "une série d'actions qui ont en commun d'être préméditées et de viser des buts particuliers concernant l'usage de la langue dans la communauté" (Baylon 1991, p.177).

A l'intérieur de ce domaine, on distingue classiquement deux terrains d'action:

1. La planification du statut social de la langue (anglais: status planning), l'utilisation d'une langue pour des fonction données, p.ex. faire en sorte qu'une langue soit officielle, soit utilisée dans les médias, soit un sujet ou un média d'enseignement, etc. L'UCW, faisant de la prose sans le savoir, a lancé un projet qui entre typiquement dans la catégorie de la planification du statut de la langue: le Projet culturel global. En Catalogne, on a popularisé le mot normalització pour désigner une planification volontariste du statut de la langue: on considère qu'il est anormal qu'une langue ne serve pas dans tous les domaines de la vie. Il faut donc "un ensemble d'actions préméditées" afin de renverser la vapeur (Generalitat de Catalunya, 1983).

2. La planification du corpus (anglais: corpus planning), qui comprend:

a. la graphisation: établir une orthographe pour une langue;

b. la standardisation: établir une norme supra-dialectale; car une des tâches principales de la théorie de la planification linguistique est d'"établir des principes linguistiquement fondés pour la création de nouvelles langues littéraires [= écrites] et communes là où il n'en existe pas encore" (Tauli 1968, p.21);

c. la modernisation: développer la terminologie et la stylistique d'une langue pour que celle-ci soit au diapason du développement économique, social, technique et culturel du pays.

Dans la pratique, il est impossible de se lancer dans un domaine sans devoir tenir compte des autres. Par exemple l'introduction d'une langue dans les médias (planification du statut) a une influence sur le vocabulaire de cette langue (modernisation). Le fait même qu'on établisse une orthographe pour une langue (graphisation) montre que cette langue a changé de statut (elle devient langue écrite), etc.

A propos des termes et du mélange des catégories, ce fascicule ne traite théoriquement que de la "standardisation". Ce mot ayant acquis, en français, une connotation légèrement péjorative, les termes "normaliser" et "normalisation" sont souvent utilisés dans le même sens. Mais on a vu que les catalans les utilisent surtout au sens de "planification du statut". A tout prendre, ce sont encore les néologismes wallons rifonde, rifondadje qui me semblent les plus précis et les plus justes dans ce cas!

2. Comment une langue se normalise-t-elle?

A. Dans certains cas, il peut y avoir une normalisation apparemment "naturelle", une évolution (politique, économique...) qui fait qu'un dialecte d'une langue finit par s'imposer aux autres. Jean GERMAIN, dans un article récemment publié (Germain 1993), a bien montré comment et pourquoi un tel phénomène ne s'est pas encore produit en Wallonie - encore que l'article en question nuance l'affirmation de départ - La formation d'une langue littéraire liégeoise (Piron 1939), combattue par l'école de dialectologie liégeoise et le courant littéraire des années 30-50, ainsi que le projet de dictionnaire général de la Société liégeoise de Littérature wallonne, auraient pu entrainer la formation d'une langue de prestige supra-dialectale à dominante liégeoise. Tentative avortée. - et surtout ouvre des perspectives intéressantes pour le futur.

On peut d'ailleurs se demander s'il existe un seul exemple de "normalisation naturelle": l'existence même d'une norme écrite supra-dialectale est contre nature; quand, dans une certaine zone linguistique, un certain dialecte a acquis le statut de norme par rapport aux autres, c'est toujours le résultat d'un effort délibéré. "Il faut garder à l'esprit que toutes les langues littéraires et toutes les langues standards basées sur elles sont déjà, dans une mesure plus ou moins grande, des créations arbitraires délibérées" (Tauli 1968, p.22); voir également p. ex. le rôle de l'Académie française dans la définition du français standard (Cooper 1989) ou le rôle de l'imprimeur Caxton dans l'émergence de l'anglais standard (Kay 1993 pp.52-54).

B. Dans certains cas, on peut choisir délibérément un dialecte donné comme langue écrite normalisée, parce qu'il est jugé plus central, plus riche, plus beau, plus prestigieux, plus pur, etc. C'est la solution adoptée, p.ex., pour l'asturien: la zone située entre les villes d'Avilés, Xixón et Uviéu est le centre économique, démographique, linguistique et historique de la Principauté des Asturies. On a donc choisi le dialecte de cette région comme langue commune (Viaut 1992). Cette solution simple ne semble pas pouvoir convenir chez nous, car la Wallonie n'a pas de centre réel, où se croiseraient poids culturel, démographique et linguistique dominant; il est d'ailleurs probable que les gens s'y opposeraient; cette solution est peu démocratique et elle finit souvent par créer des frustrations aux périphéries.

C. La troisième façon est de bâtir une langue composite à partir des dialectes existants; comment?

C1. On peut songer à bâtir une langue wallonne "pure", c-à-d concrètement, la plus éloignée possible du français, le voisin par rapport auquel nous nous sentons toujours forcés de marquer notre déférence et notre différence. C'est la solution adoptée, p. ex., pour la normalisation du norvégien, qu'on voulait démarquer du danois (Calvet 1987 pp. 184-188; Gundersen 1984). L'avantage est que l'on obtient une langue à l'originalité très marquée. L'inconvénient est qu'on peut obtenir une langue wallonne... que la plupart des gens ne comprennent pas.

C2. Une deuxième solution est de s'appuyer sur une orthographe qui permet diverses prononciations. C'est la voie choisie, entre autres, pour l'occitan (Nouvel 1975 pp. X-XV et XXII-XXIV; Bec 1986, pp. 108-110) ou le poitevin (Gautier 1993 pp. 17-37). L'avantage est un très grand respect de la variété linguistique, de la langue parlée, puisqu'à un seul mot écrit correspondent plusieurs prononciations dialectales (ex.: le mot occitan djorn peut se prononcer, si on écrit en orthographe Feller: djour, djoun, jour, dzour, tsour, tsoun, etc. Noter chacune de ces divergences articulatoires oblige le lecteur à un effort d'adaptation confinant au malaise, obstacle presque insurmontable à l'intercompréhension écrite, non soutenue par le contexte situationnel de la langue parlée. L'expérience a d'ailleurs prouvé que les sujets parlants cristallisent sans difficultés leurs prononciations spécifiques autour d'une seule et même image graphique" (Bec 1986, p.109). L'inconvénient est que l'orthographe Feller, justement, est très phonétique et se prête fort peu à ce genre de manipulation. Abandonner totalement le sytème Feller est impensable. Personne n'a d'ailleurs jamais évoqué cette possibilité. L'adapter plus ou moins risque de dérouter les Wallon(ne)s qui savent déjà s'en servir.

C3. La troisième voie, celle des Romanches (Holker 1990, Lia Rumantscha 1989) p. ex., est de choisir, chaque fois que c'est nécessaire, la forme la plus fréquente. L'avantage est que l'on obtient une langue qui à l'air absolument naturelle, qu'on pourrait presque "situer". L'inconvénient est qu'on instaure ainsi une "dictature de la majorité" qui peut également créer des frustrations dans les régions non centrales ("centre" étant pris ici dans un sens très large - mais tout de même).

Avant de se lancer dans un choix, il est peut-être bon de se dire qu'il n'y a pas de solution linguistiquement parfaite. Toutes ont leurs avantages et leurs inconvénients. Il n'y a que des solutions plus ou moins bien adaptées à une situation donnée. D'où la nécessité de comprendre ce qu'est notre langue et ce que nous voulons en faire. Il ne s'agit pas seulement de l'analyser linguistiquement (différences dialectales, richesse du vocabulaire, syntaxe...). Il faut aussi comprendre le contexte dans lequel elle se trouve, des points de vue historique, social, politique, culturel, légal, etc.

3. Pourquoi faire? (indispensable détour par la "planification du statut").

Pour qui, pour quoi, dans quel contexte et par quels moyens veut-on établir et diffuser une norme supra-dialectale écrite pour le wallon?

A quoi le wallon écrit sert-il aujourd'hui? Voici quelques unes des fonctions possibles d'une langue et une estimation de l'utilisation du wallon dans ces domaines:

Langue officielle...

pas du tout

Langue judiciaire, administrative...

pas du tout

Langue de communication, journalisme...

très peu (prose non narrative très peu développée)

Langue scientifique...

pas du tout

Langue d'enseignement...

pas du tout

Sujet à l'école...

un peu

Langue littéraire...

oui

Comme on le voit par ce petit tableau, le wallon écrit sert essentiellement dans une fonction litéraire. Or, la mode actuelle pour le wallon veut que les auteurs accordent beaucoup d'importance à la "musique" d'un dialecte donné et s'en écartent le moins possible (la poésie rejoignant ici la phonétique expérimentale et la vivisection dialectologique). On peut donc imaginer que dans l'état actuel des choses, peu d'écrivains désireraient utiliser une langue écrite commune. Dans le futur, par contre, si une norme commune devait être enseignée à l'école, le public potentiel de n'importe quelle oeuvre s'en trouverait décuplé, ce qui constituerait un puissant incitant pour les auteurs... et les éditeurs. Aujourd'hui déjà, pour des oeuvres telles que des bandes dessinées, il serait nettement plus avantageux d'utiliser une langue écrite commune que tel ou tel dialecte.

D'autres fonctions sont également immédiatement concernées. On peut penser p.ex. au vaste domaine de la prose non narrative: articles de journaux et revues, livres d'école, annonces, courrier, documents officiels, etc. On fonde souvent la distinction entre un dialecte et une langue sur l'existence ou non d'une prose non narrative: "Est identifié comme langue tout parler ayant de la prose non narrative (dialectique)" (Trudo 1993). C'est également un critère de classification pour les langues régionales et minoritaires dans l'Union européenne (Echos du Parlement européen, Paris, n°82, 3/93). Or, dans ce domaine, nos n'èstans nin sins rin. Le wallon dispose d'ores et déjà d'embryons de prose non narrative dans les domaines légal (Seret, Josserand), grammatical (Mahin 1984-1993; Viroux R. 1982-1986), journalistique (Charly Dodet, chronique hebdomadaire "Inte di nos-ôtes seûye-t-i dit", Vers l'Avenir-Huy), historique (Viroux J.), botanique (Mahin 1983-1984), médicale (Mahin 1982), etc.

Il faut d'ailleurs noter que l'utilisation du wallon pour la prose non narrative était beaucoup plus fréquente à la fin du 19° s. et au début du 20°, époque où les revues wallonnes étaient souvent rédigées entièrement en wallon et où l'on écrivait des articles quasi scientifiques en wallon (ex.: Lequarré 1906).

A quoi cela sert-il? A rien. A rien, dans la mesure où le français le fait aussi bien et même mieux. A rien, à un détail près: on peut se demander si une langue peut survivre en n'étant utilisée, dans l'oral, que dans des situations informelles et, dans l'écrit, uniquement en littérature.

C'est la question que pose l'UCW en lançant son projet de normalisation, le PCG. Si l'on veut que le wallon vive - c-à-d si l'on veut que le peuple wallon puisse encore se servir de cet instrument irremplaçable: sa langue - il faut qu'il ait une place dans tous les aspects de notre société actuelle; ses fonctions doivent être étendues.

Or, dans tous les domaines écrits évoqués ci-dessus (sauf peut-être, pour certains, en poésie), il est moins important de décrire narcissiquement une prononciation que de faire passer un message, qui doit être compris le mieux possible par le plus de gens possible. Une langue écrite commune trouve donc son utilité.

S'agit-il d'un pari?

Oui si l'on considère que nous ne sommes même pas sûrs de la survie à moyen terme du wallon. I n' fåt nin d'mander s'è sièrvi dins dès gazètes èt dès lives di scole!

Non dans la mesure où cette extension des fonctions du wallon sera justement grandement facilitée par l'existence même d'une forme écrite commune, ritche assez po d'vizer do monde d'oûy a to(te)s lès Walon(e)s.

Pour terminer, notons encore rapidement que la standardisation du wallon n'est pas seulement utilitaire. L'existence d'une norme écrite commune pourrait contribuer à relever le prestige du wallon aux yeux de ses utilisateurs eux-mêmes. Michel Francard (Francard 1993), comparant la vitalité actuelle de la langue luxembourgeoise (standardisée) face à la décrépitude quasi totale du wallon à Tintange, fait remarquer ceci: "Au passage, l'on mesure la pertinence des mesures de standardisation proposée pour assurer un avenir au wallon, dont la diversité s'accomode difficilement d'une diffusion au-delà d'une communauté restreinte".

Mins dji potche d'one coche su l'ôte. Riv'nans å r'fondadje, si vos voloz bin.

4. Quelques projets de normalisation présentés jusqu'à aujourd'hui

4.1. On peut compter qu'à l'heure actuelle quatre projets concrets en vue de normaliser le wallon écrit ont été mis sur le tapis.

4.1.1. Le projet de Paul BAY (Bay 1956) était de choisir comme langue commune un dialecte "central" et "pur" (méthode B, v. ci-dessus): celui d'une région comprise entre Dinant et Ciney, centre géographique approximatif du domaine wallon.

4.1.2. Le projet de Jean GERMAIN (Germain 1989) était de bâtir une langue composite (méthode C3) comprenant d'ailleurs deux variétés, et en incorporant également des éléments de C2.

4.1.3. Le projet de Laurent HENDSCHEL (Hendschel 1990, 1993) se veut dans la continuité du précédent (méthode C3), mais avec une unification totale, et en incorporant des éléments de C2.

4.1.4. Le projet de Lucien MAHIN (Mahin 1993, 1994) s'appuie essentiellement sur C2.

Il ressort de tout cela que les voies les plus souvent étudiées sont les C2 et C3, surtout si l'on ajoute, à ces propositions déjà concrètes, divers articles rédigés sur le même sujet, p.ex. Slangen 1990 ou Fauconnier 1990.

4.1.5. A ces quatre projets, il faut pourtant encore ajouter une cinquième possibilité, que personne à ma connaissance n'a jamais théorisée ni même présentée noir sur blanc, mais qui est un peu dans l'air du temps. Il s'agit de l'établissement de quatre langues sous-régionales correspondant aux quatre principaux groupes dialectaux. Si je m'arrête sur cette idée, c'est parce que je la trouve personnellement dangereuse pour les raisons suivantes: elle est d'abord inutile, puisqu'on en est déjà là, du moins pour les dialectes est et centre: lors de la publication de Walo + (UCW 1992) ou de l'ordinaire de la Messe (UCW 1994), ce n'est pas le dialecte de Stavelot qui a été choisi pour représenter l'est, et ce n'est pas celui de Jodoigne qui a été choisi pour représenter le centre. On a choisi automatiquement, "naturellement" (v. mes commentaires sur ce mot, ci-dessus 2.4.) les dialectes de Liège et Namur, les deux villes les plus importantes, les plus centrales et les plus influentes dans leur domaine respectif. Par contre, dans les régions plus fragmentées et intermédiaires de l'ouest ou du sud-wallon, et même dans les régions périphériques des deux autres domaines, il semble clair qu'il ne serait ni plus ni moins compliqué d'utiliser un wallon commun à l'ensemble de la Wallonie qu'un wallon normalisé à l'échelle provinciale. On aurait donc tous les "inconvénients" d'une normalisation sans les "avantages". Un autre problème plus subtil mais beaucoup plus grave se poserait encore: établir quatre wallons écrits provinciaux signifierait une rupture de l'unité linguistique du domaine wallon; en effet, il n'existe pas de "frontière" entre les dialectes du wallon, mais des passages progressifs, des enchevêtrements de traits linguistiques. Etablir formellement plusieurs langues écrites normalisées, c'est séparer à la hache des parlers qui n'étaient pas nettement limités. La variété dialectale totale telle que nous la connaissons aujourd'hui vaut mieux, à mon avis, que l'établissement de quatre langues sous-régionales. Car une telle variété, même peu pratique et déroutante, a au moins le mérite d'habituer le lecteur aux subtiles nuances dialectales qui parcourent le domaine wallon. Etablir quatre langues sous-régionales signifierait la création d'un sentiment de différence tangible entre la "langue namuroise", la "langue ardennaise", etc. Ce système nous ferait perdre de très précieuses années dans la prise de conscience d'une wallonitude qui dépasse nos frontières provinciales.

4.2. Si l'on excepte le projet BAY, qui était peu et mal argumenté et qui a reçu un accueil plutôt "frais", on voit que les propositions les plus récentes et les plus poussées s'accordent sur le point essentiel: une langue écrite commune devrait être bâtie à partir des quatre dialectes afin de mettre en valeur les richesses de chacun et de respecter le plus possible la diversité. Un autre point d'accord important est que, dans les trois propositions, on retrouve le souci d'adoucir le rigorisme hyper phonétique de l'orthographe Feller. Le point de divergence, la question délicate est: jusqu'où aller? Le problème mérite qu'on s'y attarde un peu.

4.3. Quelques exemples permettront peut-être de se faire une idée plus concrète des points de convergence et de divergence entre les trois systèmes proposés:

a. Dans certains cas, les trois propositions s'accordent pour dire qu'il faudrait des graphies "synthétiques" (c-à-d qui peuvent se prononcer de différentes manières):

ôte - ônte - ôute - öte ® ôte, qui peut se prononcer comme on veut.

p'tët - p'tit ® p'tit, qui peut se prononcer comme on veut.

Jusque là, tout le monde est d'accord. Passons au stade suivant.

b. Supposons des séries typiques comme:

houyeû / ouyeû: dans ce cas (il existe un autre type de "h", v. ci-dessous), les trois projets optent pour le maintien du "h" - Même si Jean GERMAIN n'aborde pas ce point, le maintien de ce type de "h" est bien dans l'esprit de son projet.: il est prononcé à l'est et pas ailleurs, tout simplement. Il existe aussi au sud, au centre et à l'ouest, où il empêche la liaison, comme en français (dès houyeûs). Si le "h" est écrit, toutes les variantes parlées restent possibles.

tâve - tåve - tauve / tôve, comme le projet GERMAIN le suggère, il est simple d'utiliser une seule graphie pour recouvrir les 3 prononciations possibles. Cette idée est d'ailleurs également défendue par MAHIN et HENDSCHEL; écrire: tåve permettrait à chacun de prononcer comme il le désire. La méthode C3 (utilisation de la forme la plus courante) indiquerait plutôt l'utilisation de tauve ou tôve.

c. Abordons maintenant des cas encore plus novateurs. Soit les séries:

tchapê - tchapia. Ici, la méthode C3 reste muette: il n'y a pas de forme majoritaire (tchapê: sud et est; tchapia: ouest et centre). Quelles sont les solutions envisagées par les trois projets? GERMAIN évoque la possibilité de ressusciter une graphie utilisée pour écrire cette série wallonne au Moyen-Age: tchapea (Remacle 1948, p.51-52), une graphie qui est présentée comme "commode" mais rejetée parce que "dangereuse" (on suppose que l'auteur craint de s'éloigner trop visiblement du système Feller actuel). Finalement, le projet GERMAIN retient deux variantes. Le projet HENDSCHEL opte pour -ia, tout en reconnaissant l'arbitraire de ce choix. Quant au projet MAHIN, il défend la solution -ea permettant deux prononciations.

pèchon - pèhon. La méthode C3 amène à choisir la forme pèchon (ouest, centre, sud) contre pèhon (est). Le projet MAHIN, privilégiant toujours des formes écrites permettant de respecter toutes les prononciations possibles, envisage de restaurer la graphie -xh- (pèxhon, baxhî, mèxhner...), également utilisée anciennement pour écrire certains "h" wallons (elle est toujours présente dans de nombreux noms de lieux et de personnes). Déroutant? Oui, mais on ne peut rejeter a priori cette solution sans avoir étudié ses avantages: principalement, elle permet de ne pas choisir. Elle permet de préserver la prononciation du dialecte est, qui pèse d'un poids culturel très important dans l'ensemble des dialectes wallons. Cette solution permet en outre de relier la langue wallonne actuelle à une tradition écrite bien plus ancienne que le système Feller.

Notons que l'utilisation de cette forme -xh-, bien attestée pour écrire l'ancien wallon, oblige par analogie à créer un graphème nouveau, non attesté, lui: -jh- , pour recouvrir les couples prîjon - prîhon ® prîjhon.

Un dernier exemple. Soit la série bin - bén - bîn - biè, etc. La solution C3 amène sans hésitation à préférer la forme bin, qui permet d'ailleurs plusieurs prononciations. Le projet MAHIN propose cependant une graphie ben, également inspirée de l'écriture ancienne du wallon. Cette graphie était en effet couramment utilisé pour représenter ce que nous écrivons aujourd'hui -in-. L'idée est que écrire: li tchen va ben permet plus facilement la prononciation li tchén va bén, typique de la région carolorégienne (et du Brabant wallon), qui pèse également d'un poids démographique et culturel très important dans l'ensemble du domaine linguistique wallon.

5. La normalisation appliquée dans le dictionnaire

5.1. A grandès asdjamblêyes

Après nous être arrêtés sur ces problèmes orthographiques, revenons au dictionnaire. Le système de normalisation appliqué est, dans les grandes lignes, celui décrit dans Hendschel 1993. Ce projet est évidemment sujet à révision dans tous ses éléments. On pourrait même opter pour un tout autre projet. Si la commission devait prendre des positions concrètes sur le sujet de la normalisation du wallon écrit, il serait absurde que les "compilateurs" du dictionnaire n'en tiennent pas compte, quitte à corriger le travail accompli.

Tâchons maintenant de décrire brièvement les principales caractéristiques de ce système.

5.1.1. Dans quelques cas, on choisit des orthographes synthétiques permettant plusieurs prononciations (C2):

a. au / ô - â - å ® å: lård, å, tåve, il årè...

b. é - ê ® ê: têre, èspwêr, êwe...

c. h - zéro - y - w ® h: houyeû, ahèsse, hawer...

v. chap. 5.2., ex. 7, 8 & 16.

En plus, des orthographes très localisées n'apparaissent pas dans les formes normalisées. On considère qu'il est parfaitement possible de prononcer des sons locaux en lisant les formes normalisées:

ôte, prononcé ônte ou ôute; måjon prononcé môjån; li p'tit prononcé lë p'tët...

5.1.2. Dans l'immense majorité des cas, la règle appliquée est le choix de la forme majoritaire, à chaque fois que c'est nécessaire (C3). Cette règle joue aussi bien en phonétique qu'en morphologie (conjugaison, p. ex.).

v. chap. 5.2., ex. 1-6, 9-13, etc.

5.1.3. Dans certains cas, s'il n'y a pas de forme majoritaire, d'autres critères peuvent jouer.

Il existe parfois des formes minoritaires exactement intermédiaires entre des formes éventuellement plus courantes mais pas pour autant majoritaires: gaye - djaye - djèye ® djaye; viladje / vilâdje - viyadje - viyèdje ® viyadje

Il faut parfois étudier certaines évolutions de manière assez fine. P. ex., d'un point de vue est-wallon, des mots comme meûs et teût appartiennent à une même série; de même pour un Namurois ou un Carolo: mwès et twèt. Mais si l'on étudie d'autres dialectes, on se rend compte que, dans un cas, les formes diphtonguées (mwès) sont nettement majoritaires, alors que dans l'autre, les choses sont beaucoup moins claires (on trouve teût, tût, tèt, teut, twèt, twat). Les formes non diphtonguées sont retenues parce qu'elles existent dans les quatre dialectes, même si elles ne sont pas majoritaires à l'ouest, au centre et au sud. Cette solution mixte permet d'arriver à un équilibre entre dialectes (v. chap. 5, ex. 14, 15).

Afin d'obtenir une certaine cohérence, une certaine clarté pour le système tout entier, il arrive qu'on choisisse des formes "régulières" contre des formes "irrégulières". Ainsi, pour le français "nuit", on a de nombreux équivalents: nut', nût, gnût, nêt... nût serait choisi (sous réserve) par analogie avec i lût, li brût, etc.

Enfin, dans de rares cas, des formes "dialectales" pourraient être priviliégiées par rapport à des formes "normalisées". Ainsi, il faudrait songer à choisir comme forme normalisée abèyisté plutôt que abîyeté. Cette dernière serait la forme normalisée "automatique". Elle est attestée en centre-wallon... mais - pour autant que je sache - totalement tombée en désuétude, alors que abèyisté semble encore bien utilisé. De même, le couple nou / nole (i n'a nou live) pourrait être préféré à nu / nule, dans la mesure où nou / nole est couramment utilisé en est-wallon, alors que le centre et l'ouest utiliseront beaucoup plus fréquemment le synonyme pont di que l'équivalent dialectal nu (i n'a pont d' live plutôt que i n'a nu live, plus rare). Dernier exemple: je plaiderais pour la forme minoritaire atcheter contre la forme majoritaire acheter, parce que l'évolution wallonne régulière donne -tch- et non -ch-.

5.1.4. Ce dernier exemple permet d'introduire un ultime critère; il est contestable mais il est revendiqué: une norme écrite commune devrait, dans une certaine mesure, être "puriste". Ou au moins privilégier les formes wallonnes contre les formes empruntées. Evidemment, on ne peut aller contre le cours de l'histoire: ce critère n'intervient que quand il existe réellement une marge de manoeuvre, c-à-d qu'une forme a de bonnes chances d'être comprise par tous les Wallons.

5.1.5. Si le fait même de proposer une norme écrite valable pour tout le domaine linguistique wallon est novateur, le système ici présenté se base sur le compromis (entre dialectes, entre orthographes...) et a un aspect visuellement très "classique": il n'utilise aucune graphie nouvelle; il se base sur une orthographe très traditionaliste, qui n'a absolument rien de révolutionnaire (on aurait aussi bien pu utiliser une orthographe plus radicale, plus éloignée du français, mais aussi plus déroutante pour le lecteur); tous les traits phonétiques et morphologiques repris existent réellement (pas d'inventions artificielles) et son courants dans le wallon d'aujourd'hui (pas ou peu d'archaïsme ou de purisme), etc.

Le système présenté tente de parvenir à un équilibre entre unité et diversité.

(i) D'abord par le fait que la normalisation concerne essentiellement la phonétique et la morphologie. La syntaxe est très unitaire. Le lexique est conçu en terme de compilation des richesses de chaque région: li skiron èst niche, dji v' rawåde èl vèye et dji d'vize a lès tchots sont trois phrases en wallon normalisé, même si certains traits permettent de les localiser aisément.

(ii) On utilise dans certains cas des graphies pouvant se lire de différentes manières: li djon.ne ome peut aussi bien se prononcer li djône ome...

(iii) A tous les niveaux (orthographe, morphologie, lexique...) le système intègre de manière aussi cohérente que possible des éléments issus de tous les dialectes (ex.: utilisation du signe "å"; conjugaison de l'imparfait de l'indicatif...).

Dans mon esprit, il n'y a d'ailleurs pas opposition entre la démarche d'unification et la démarche qui met en valeur le caractère unique et irréductible et de la voix de chaque être humain. Il y a complémentarité. Ce sont deux voies, toutes deux respectables et indispensables, qui doivent mener au même but: que chaque individu et chaque peuple soient à même de parler de leur propre voix. En outre, comme on l'a vu plus haut, une norme commune n'a d'utilité que dans certaines fonctions.

Enfin, l'avantage décisif du système présenté ici est qu'il ne nécessite aucun apprentissage particulier; il est, je crois, immédiatement compréhensible et utilisable (du moins pour la lecture) pour toutes personnes sachant déjà lire le wallon.

5.2. Di d' pus près

Proposer une norme écrite, c'est, dans certains cas, choisir entre des variantes dialectales. Il fallait donc établir une liste de ces variantes dialectales et, dans chaque cas, proposer une solution argumentée.

La liste ci-dessous, composée à partir de l'ALW, reprend 52 variantes phonétiques et morphologiques. A titre de comparaison, cette liste est suivie d'une autre, tirée de Limes I (pp. 73-78, 86-89). Elle comprend 42 traits définissant la langue wallonne et ses principaux dialectes.

On n'insistera pas ici sur les phonèmes qui, de toute évidence, appartiennent à l'ensemble du domaine wallon (/b/, /p/, /i/, etc.). Ni sur les traits phonétiques particuliers à des zones très réduites (ex: "tchåntè" ou "cöp" à Neufchâteau; "cônp" à Jodoigne; son intermédiaire entre "êre" et "âre" en basse-Sambre, entre "ô" et "ôu" en Entre-Sambre-et-Meuse, dénasalisations en verviétois et malmédien, etc.). Les exemples qu'on trouvera ci-dessous sont plutôt destinés à mettre en évidence les traits phonétiques et morphologiques particuliers au wallon ou, dans certains cas, à un de ses principaux dialectes.

Ne sont retenus que les cas permettant d'établir une règle générale applicable à d'autres cas particuliers similaires.

sud ouest centre est commun

1. tchambe tchambe tchambe tchambe (4) tchambe

2. djambe / djan.me djambe djambe djambe (4) djambe

3. dint / dèt dint dint dint (4) dint

4. crosse / crousse crousse crosse crosse (3) crosse

Les dialectes est, centre (presque toujours) et sud (en partie) conservent le "o". L'ouest a "ou", comme le picard et le français. On peut conserver ce "o" systématiquement. v. ALW I,23 (coûture), 25 (croûte), 64 (mouche).

5. bin (biè) bé(n) / bî(n) / bin bin (bén) bin (4) bin

v. ALW I,3 (bien).

6. pèchon pèchon pèchon pèhon (3) pèchon

5-6: les phonèmes "én", "în" et "h" sont propres à un seul dialecte sur quatre. Ils n'apparaîtront pas dans le wallon commun. v. ALW I,64 (mouche), 76 (poisson), II,91 (je remplis).

7. haye aye (h)aye haye

haye ® haye ® haye haye (4) haye

On voit cependant qu'une "fiction orthographique" permet d'intégrer ce "h" dans certains cas. Cette "fiction" n'en est d'ailleurs pas une: dans le sud, la plus grosse partie du centre et certains dialectes de l'ouest, le "h" existe réellement, même s'il est rarement noté, puisqu'il empêche la liaison. v. ALW I,50 (haie) (v. aussi Léonard 1963 pp. 155-156; Balle 1963 pp. 10; Grignard 1908, p.79).

8. lârd / laurd lârd / laurd laurd lård / lârd

® lård ® lård ® lård ® lård (4) lård

Ici aussi, une seule graphie ("å") permet de recouvrir plusieurs prononciations.

9. supène (sipène) èspène (sipène) sipène sipène (supène) (4) sipène

Cet exemple important nous montre que:

1. le wallon commun utilisera la voyelle épenthétique, la voyelle prothétique n'étant utilisée que dans le dialecte ouest (à l'ouest de Charleroi) et dans une petite partie du sud.

2. la voyelle d'appui sera "i". Le "u" n'existe qu'au sud et à l'extrême est (Verviers, Malmédy). v. ALW I,54 (le).

10. bwagne / bôgne bô(u)gne (bwagne) bwagne bwègne (bwagne) (4) bwagne

mwârt / môrt mô(u)rt (mwârt) mwârt mwért (mwart) (3) mwârt

La diphtongue "wa" est la seule existant dans tous les dialectes, même si elle n'est majoritaire ni à l'ouest (elle n'existe qu'à l'est de Charleroi mais tend à se répandre; v. Fauconnier 1989) ni à l'est (elle n'existe qu'en malmédien, et parfois sous une forme légèrement différente: "a" bref). v. ALW I,5 (borgne), 62 (mort), 77 (porter); Grignard 1908, carte VI, p.49.

11. tchèss-eû tchèss-/cach- tchèss-eû tchèss-eû (4) tchèsseû

brès bras brès brès' (3) brès

glèce / glace glace glace glèce (3) glace / glèce

Dans la plupart des cas, une nette majorité se dégage pour le "è" correspondant à un "a" en français. Dans quelques cas (deux ou trois mots courants), il n'y a pas de majorité: glace / glèce, place / plèce. Par souci de cohérence et de purisme, on pourrait adopter le "è", solution plus proprement wallonne, dans ces deux cas.

12. bièsse / bésse bièsse bièsse bièsse (4) bièsse

Seule une très petite région (Neufchâteau) ne connaît pas cette diphtongaison. v. ALW I,95 (tête).

13. aw-îye (-èye) èw-îye aw-îye aw-èye (-îye) (3) aw-îye

Dans certaines régions le "y" se fait à peine sentir, ou pas du tout. ALW I,1 (aiguille), 98 (vie), II,90 (il charrie).

14. steûle - - steûle

stwale / stwèle stwèle(stwale) stwèle/stwale - (3) stwèle

peûre - - peûre

pwâre pwêre/pwâre pwâre/pwêre - (3) pwêre

15. teût/teut/tèt teut teut teût (tût) (3) teut

twèt/twat twèt twèt

freûd/freud/ freud freud freûd (frûd) (3) freud

frèd/f(r)wad f(r)wèd/frèd fr(w)èd

seû/seu/sè seu seu seû (sû) (3) seu

swa swè swè

16. èspwêr / wâr èspwêr / wâr èspwêr /wâr èspwér (3) èspwêr

14, 15 et 16: dans ce paysage assez confus, on peut dégager deux grandes tendances: diphtongaison / non-diphtongaison.

Seul le troisième cas (16), correspondant à une finale "-oir" en français, est clair: on aura toujours "-wêr" (prononcé "é" long ou "è" long).

Les autres cas (14 et 15) semblent pouvoir se répartir en deux ensembles cohérents:

15. Pas de diphtongue. Solution existant dans tous les dialectes, avec un "eu" bref à l'ouest (botte du Hainaut), au centre (sud) et au sud, et un "eû" long à l'est ("û" à Huy). La liste des mots concernés n'est pas longue... mais ce sont des mots très usuels: teut, freud, deut, seu, reud, streut..., plus leurs dérivés. On retrouvera cette même solution dans la conjugaison de certains verbes irréguliers; "vèy" et "divu", p. ex., donnent, dans les mêmes zones: dji veû, dji deû / dji veu, dji deu... On conservera donc ces dernières formes. v. ALW I,45 (froid), 91 (soif), 100 (il voit), IV,6 (toit); Grignard 1908 carte V, p.37.

14. Les formes diphtonguées sont les plus courantes. Les diphtongues "wa" et "wè" se retrouvent un peu partout. Seul un souci d'originalité justifie le choix de "wè" plutôt que "wa".

Une telle solution "mixte" pour le correspondant du français "oi" permet en outre de prendre en compte les variations offertes par tous les dialectes. ALW I,38 (étoile), I,75 (poire), III,35 (mois).

17. tchap-ê / -é tchap-ia tchap-ia tchap-ê (-ia) (3) tchapia (tchapea)

La forme "ia" déborde légèrement dans le dialecte est (Huy). Cependant, on ne peut pas dire qu'une forme est réellement majoritaire. La solution proposée dans Hendschel 1993 est d'opter pour "ia". Il est cependant également possible d'utiliser la graphie "-ea", utilisée au Moyen-Age pour écrire cette finale typique, à prononcer -ia ou (Remacle 1948, p.51-52); v. PALW II,2 (-ellum).

18. touwer / tuwer tuwer touwer (tuwer) touwer (3) touwer

La forme en "ou" existe à l'est, au centre (majeure partie) et au sud (partie).

Quelques affixes courants

19. dus-pinde (dis-) dès-tinde (dis-) dis-tchèrdjî dis-tingler / d(i)- (4) dis-pinde, distinde, distchèrdjî, distingler

Ce cas est exactement le même que celui de la voyelle d'appui; v. 9 ci-dessus.

20. ku-ssèmer / co- cou-bèzacî / co- co-pwarter (ki-) ki-taper (3) c(o)ssèmer, c(o)bèzacî, c(o)pwarter, c(o)taper

On a:

- d'une part les formes k(i)ssèmer (est et les franges contiguës au centre et au sud) et k(u)ssèmer (sud). Cette dernière est assimilée à la première, car nous avons vu que la voyelle d'appui est "i";

- d'autre part les formes cossèmer (centre, parties de l'ouest et du sud) et coussèmer (ouest et une petite zone au sud).

Ces deux aires ont à peu près la même étendue.

Notons qu'au centre, quelques mots ont le préfixe "co-" mais celui-ci s'élide: comincî donne dji c'mince; cofèsse donne aler a c'fèsse. On pourrait adopter systématiquement cette solution intermédiaire, et admettre que l'élision est facultative. On aurait donc, au choix:

codûre ® dji c'dû ou dji codû

conoche ® nos con'chans ou nos c'nochans

21. tchèrdj-adje (èdje) cour-âdje tûz-adje florih-èdje (*) tchèrdjadje, coradje, tûzadje, florichadje

Le suffixe "-adje" (a/bref) - quasi totalité des dialectes centre et sud - est majoritaire. Il peut en outre être considéré comme intermédiaire entre "-âdje"; (a/long) et "-èdje" (è/bref). v. ALW I,99 (village).

22. cost-eûre (-ère) coust-ure cost-eure (-eûre) -eûre (are, ore) (3) cost-eûre

Le suffixe "-eûre" peut être choisi systématiquement. Sauf dans les rares cas où il n'est attesté nulle part (cultûre, vwètûre...). v. ALW I,29 (couture).

23. mur-wè/mur-wa/ murwè murwè mureû (3) mur-wè

mur-eû

cf aussi ci-dessus les exemples 14, 15 & 16. v. ALW I,61 (miroir).

24. poûssîre / -iêre -iêre (-êre) -îre / -êre -îre (4) poûss-îre

v. ALW I,79 (poussière).

Quelques mots-outils

Références générales pour la morphologie ("mots-outils" et "conjugaison"): ALW II (cartes 1-77 pour les mots- outils; cartes 78-121 pour les formes du verbe); Léonard 1972 (centre-wallon); Grignard 1908 (ouest-wallon); Bertrand & Duchesne 1962 (Liège); Bastin 1909 (Faymonville); Mahin 1984-1993 (Haute-Lesse); Mouzon (Neufchâteau et environs); Francard 1980 (Tenneville).

Articles

25. Articles définis: nous avons vu que la seule forme possible est li / lès (v. 9 ci-dessus). L'article féminin la n'existe que dans une partie du dialecte sud, èl à l'ouest et une petite région du sud, lu au sud et à l'extrême est. v. ALW I,54 (le); II,1 (la); PALW I,5 (la).

26. Articles indéfinis: au masculin, la forme majoritaire est on (est, centre, partie du sud; on a aussi in, un, î, ou...). Au féminin, la forme majoritaire est one (centre, partie de l'est et du sud). L'ouest et une partie du sud ont ène, Liège et environs ine, sporadiquement une, in.ne, eune, oune etc. Les pronoms indéfinis correspondants doivent alors être onk / one. v. ALW I,96 (un); II,10 (une).

27. Articles partitifs: au masculin, la forme la plus fréquente semble être do (partie du centre, de l'est et du sud; on trouve dans la plus grande partie de l'est et le nord du dialecte central; du et dou à l'ouest et au sud). Au féminin, dèl recouvre presque tout le domaine wallon. A ce couple do/ dèl peuvent répondre les prépositions o / èl (dans le, dans la; syn. dins l', divins l' ) : dji so o tchèstia, èl cinse; v. ALW II,3 (du), 4 (de la).

Prépositions

28. Quand l'emploi des prépositions diffère, on peut considérer qu'elles sont synomymes et que leur emploi est libre: dj'a stî vèyu dès djins ou dj'a stî vèyu pa lès djins ou dj'a stî vèyu påzès djins; djèl a dit ås djins ou åzès djins ou a lès djins; i l'apougne po s' cô ou pa s' cô ou på cô...

Adjectifs

29. Adjectifs possessifs: mi - mès, ti - tès, si - sès, nosse / noste - nos, vosse / voste - vos, leû - leûs

Rem.: - 1° et 2° pers. du plur.: seul l'ouest a no, vo

- mi, ti, si devant voyelle: on a s'ome, s'-n-ome, s'-t-ome, si-ome...; cette dernière solution est de loin la plus fréquente. Elle est en outre la plus simple et la plus immédiatement compréhensible pour tous. Elle peut correspondre à une prononciation en une ou deux syllabes ("myome" ou "mi-y-ome"); v. ALW 47 (mon), 48 (mon), 52 (notre), 55 (leur).

30. Adjectifs démonstratifs: ci (dvnt cons.), cit(e) (dvnt voy.)

Rem.: - Devant consonne: seule une partie de l'est (est) et du sud (sud-est) connaissent une forme féminine (cisse, çute). Les quatre dialectes connaissent une seule forme ci à la fois féminine et masculine: ci gamin la, ci gamine la; alans dins ç' måjon chal...

- Devant voyelle, la forme cite est la plus fréquente: on la trouve au centre, à l'ouest (est), au sud (çute) et, sporadiquement, à l'est (Huy, Ardennes). ciste n'existe qu'à l'est. Cit ome la, c'èst po ç't ome la, cite afêre la, c'èst ç'te afêre chal. v. ALW II, 56 (ce), 57 (cette), 58 (cette).

31. Adjectifs interrogatifs : le centre, l'est et le sud ont qué / quéne, formes majoritaires (l'ouest, une partie de l'est et la région de Neufchâteau ont qué / quéle). On aurait donc: qué pî, quén åbe; quéne comére, quéne afêre, quénès coméres, quénès afêres; ou li qué pî, li quén åbe; li quéne comére, etc.

A noter que l'ouest, le sud et une partie du centre ont tendance a utiliser les formes masculines uniquement (qué comére, qués pomes...). L'usage étant flottant, autant laisser la liberté de choix... v. ALW,63 (quel), 64 (quel), 65 (quelle).

Pronoms

32. Pronoms personnels sujets: dji, ti, i / il, èle / èlle, on, nos, vos, i / il

Rem.: - èlle devant voyelle: tous les dialectes redoublent le "l" devant voyelle (v. notamment Grignard 1908, p. 84 pour l'ouest-wallon).

- Dans la plupart des dialectes, on devient on-z- devant voyelle. On peut cependant admettre que cette liaison est facultative: on a ou on-z-a

- nos peut se réduire à n's ou n'. Seul le dialecte sud a une forme à la fois sing. et plur. (dju). Elle peut être utilisée comme "synonyme" ou "allomorphe" de nos (Remacle 1952, carte 9, p. 217).

- vos peut se réduire à v's ou v'

- i / il: dans la plupart des dialectes, la forme du pluriel est il et non is, qui est un gallicisme (il arivèt plutôt que is-arivèt; v. ALW II, p. 100, 4°). Devant voyelle, il faut donc noter i.

- l'ouest seul a, par endroits, djè / dè, tè dans tous les cas.

- le centre a djè, tè... devant un pronom objet de la 3° pers. sing. ou plur. (djè l' vou). Si l'on considère que le pronom objet est èl, il vaut mieux écrire: dj'èl vou. Voir ci-dessous, les pronoms personnels objets.

- dans certaines circonstances, certains dialectes peuvent sous-entendre le pronom personnel sujet. Ici encore, l'usage doit pouvoir rester libre: ènnè vout nin = i n'è vout nin.

En inversion, les formes les plus fréquentes du pronom sujet sont: a-dj', as', a-t-i, avans-n', avoz-v', tchantèt-i et, après consonne, pinse-dju, pinse-tu, pinse-t-i. Les formes écrites "dje", "se", "ne", etc. devraient être évitées: dj' peut être considéré comme un dji élidé.

Rem.: - A la 1° pers. du sing., seul l'est a, en plus de la forme choisie, une forme djdju (a-djdju / a-dj').

- A la 1° pers. du plur., le centre, l'ouest et une partie du sud n'utilisent pas de pronom (l'avoz vèyu ?). L'usage peut être laissé libre (v. Remacle 1952, carte 8, p. 263).

v. ALW II, 12 (je), 16 (tu), 17 (tu), 18 (tu), 21 (nous), 24 (vous), 31 (il, ils), 32 (elle, elles), 46 (on).

33. Pronoms personnels toniques: mi, ti / twè, li, lèye, nos(-ôtes), vos(-ôtes), zèls, zèles.

Rem.: - A la 3° pers., l'est et une partie du sud ont lu (c'èst por lu); l'ouest, le centre et une partie du sud ont li (c'èst por li). Cette dernière forme est donc plus fréquente.

- A la 3° pers. du plur., une partie du sud a zous, zias, zés...; l'ouest a yeûs' (masc. et fém.). v. Remacle 1952, carte 5, p.194; ALW II, 15 (toi), 20 (nous), 23 (vous), 27 (lui), 28 (elle), 29 (eux), 30 (elles).

34. Pronoms personnels objets directs: mi, ti, èl / li, n(o)s, v(o)s, l(è)s / èlzès

Rem.: - A la 3° personne, les pronoms li / èl et lès / èlzès sont souvent utilisés en concurrence. On peut ne pas les considérer comme synonymes mais comme allomorphes (deux formes d'un même morphème): on n'utilise èl / èlzès qu'après un monosyllabe élidé: dj'èl di, i s'èl dimande, Djan m'èl done, dj'èlzès vou ratinde, i t'èlzès rid'manderè, i n'èl vout nin.... On utilisera li dans les autres cas: Djan l' dit, si mame l'a vèyu, i l' dit, nos l' dimandans, nos lès d'mandans, si mame lès prîye di v'ni, i lès ratindèt co, si nos l' dimandans ou si n's-èl dimandans. Cette manière de voir permet en outre de résoudre un vieux problème orthographique (faut-il écrire djèl vou / dj'èl vou / djè l' vou ?).

- Après un verbe, les pronoms objets ont une forme différente: (après voy.) prindoz-m' avou vos, fês-tu docteûr, atchetez-l', (après cons.) dispiète-mu, coûtche-tu, coûtche-lu.

- On trouve partout (sauf à l'ouest du dialecte ouest) le pronom ènnè qui peut se réduire à: il ènn' a, i 'nn' a, i 'nnè vout, il è vout.

- "Il y a": la forme i gn-a est très nettement majoritaire: centre, ouest, sud (i gn-è) et est (Ardennes). On trouve i n-a dans la région liégeoise et en Hesbaye. La forme négative ("il n'y a pas") pourrait s'écrire, au choix: (i) gn-a pont, (i) gn-ènn' a pont ou encore ènn'a pont.

v. ALW II, 13 (me), 14 (moi), 19 (toi), 22 (nous), 25 (vous), 26 (vous), 33 (le, la), 34 (le moi), 35 (je le), 36 (les).

35. Pronoms personnels objets indirects: mi, ti, lî, n(o)s, v(o)s, lèzî / èlzî

Rem.: - Si l'on considère les pronoms objets directs èl et li comme des allomorphes, il semble pertinent d'admettre la cohabitation entre leurs correspondants lèzî et èlzî, quoiqu'ils soient très proches, dans les mêmes conditions: Djan l'zî dit; dj'èlzî di.

- Certaines régions de l'est et des Ardennes ont v(i)s; mais cette forme cohabite avec v(o)s, qui est majoritaire: de toute façon, la forme élidée est semblable: dji v's èl di ou dji vos l' di. v. Remacle 1952, carte 6, p. 196; ALW II, 37 (lui), 38 (leur).

36. Pronoms possessifs: on peut regrouper les nombreuses formes en trois types principaux (v. Remacle 1952, carte 16, p. 336):

1. mink et ménk (entre Charleroi et Namur et au nord de ces deux villes).

2. min, mén, mîn (ouest).

3. min.ne, mîne, mène, meune: ce groupe est le plus important et, à l'intérieur de celui-ci, la forme min.ne est la plus fréquente (Famenne, Condroz, Ardenne). Les formes mîne (Malmédy, Ardennes) et surtout mène (région liègeoise, sud-namurois et Ardennes-namuroises, Condroz) sont très proches.

Aux 2° et 3° personne, les formes en "-k" ont une aire un peu plus étendue (Liège: li tonk, li sonk), mais les formes citées plus haut restent majoritaires. Au féminin, ce groupe de formes est encore plus nettement majoritaire.

On aurait donc ce système très simple, identique au masc. et au fém.: li min.ne, li tin.ne, li sin.ne; lès min.nes, lès sin.nes, lès tin.nes; li nosse, li vosse, li leûr; lès nosses, lès vosses, lès leûrs.

v. aussi ALW II, 49 (le mien), 50 (le sien), 51 (la mienne), 53 (le nôtre), 54 (la nôtre), 55 (leur).

37. Pronoms interrogatifs: au féminin, la forme li quéne (cf. 31. Adjectifs interrogatifs) est très largement majoritaire (est, sud, centre, quelques points à l'ouest); on trouve aussi quéle sporadiquement dans tous les dialectes, quine dans le Brabant, qué dans le sud de l'Ardenne. La forme lisquéle n'existe qu'en quelques point à l'est. v. ALW II, 67 (laquelle). Au masculin, la forme li qué (sans le -k, marque pronominale) semblent être plus fréquentes (sud, partie de l'est et de l'ouest); les formes quék et quink se trouvent surtout au centre et dans une partie de l'est et de l'ouest.

38. Pronoms démonstratifs: par souci de cohérence, il semble logique de choisir les formes les plus proches des adjectifs démonstratifs: (éloignés) ci-la, cès-la; cite-lale, cètes-lale; (proches) ci-chal / ci-ci, cès-chal / cès-ci; cite-ci / cite-chal; cètes-ci / cètes-chal.

- "ce que": le centre, le sud et l'ouest ont çu, forme majoritaire (l'est a çou; le sud et le centre ont également ci). v. ALW II, 61 (ce).

- "celui qui" : les formes suivantes sont les plus fréquentes (est, centre, ouest): li ci, lès cis; (le sud-namurois a li cia, l'ouest a aussi ci, cén, cia). Au féminin, on trouve: li cisse (est); li cène (centre-ouest); la cée, cèle, cî... (sud); il serait intéressant ici d'utiliser la forme cine, intermédiaire entre cène et cisse, et attestée dans une zone comprise entre les dialecte centre et est.

On aurait donc: li ci, lès cis, li cine, lès cines; li ci qu'èst rogneûs, qu'i s' grète; lès cines qu'on-z-a vèyu... v. ALW II, 59 (celui qui), 60 (celle qui).

Divers

39. Les lettres de liaison sont nombreuses et utilisées de manière très souples. Elle peuvent rester libres: on a / on-z-a; dj'a-st-arivé / dj'a-t-arivé / dj'a arivé; lès sèt' ôtes / lès sèt'-z-ôtes...

40. Gérondif: il peut se rendre, au choix, par tot (est, centre), è (centre) / in (ouest), a (sud, ouest), a tot, è tot... Vu le nombre de formes wallonnes, on pourrait éviter l'emprunt an.

tot tchantant / è djouwant / a v'nant

La conjugaison.

En ce domaine, c'est encore la règle de la majorité qui est privilégiée. Dans les cas où aucune forme n'est nettement majoritaire, on a tâché:

- de choisir des formes qui apparaissent dans tous les dialectes ou au moins dans trois d'entre eux (ex. 3° pers. du pluriel de l'indicatif).

- de représenter les principaux types de formes (ex. imparfait de l'indicatif).

41. Infinitif: cinq groupes principaux.

1. tchant-er: le sud-namurois et une partie du sud ont une finale -è.

2. candj-î: le "î" long se retrouve à l'est, au centre et en certains points de l'ouest et du sud. Au sud-namurois, dans la botte du Hainaut et une partie du Brabant, on a une forme proche: "i" bref. Au sud, on a ces deux formes, plus une forme en "-è" ou "-er" (boudjè). L'ouest a parfois une finale "-î" pour des verbes qui, ailleurs, appartiennent au 1er groupe (vikî).

3. stud-yî: il fallait choisir entre les finales "stud-î" (est, centre) et "stud-yî". La deuxième (celle de l'ouest, de quelques points de l'est et d'une grosse partie du centre) permet de différencier ce groupe du deuxième: leur conjugaison est différente (v. ci-dessous); le sud distingue également les groupes tchanter et studier.

4. fin-i

5. mète

A ces cinq groupes principaux s'ajoutent deux groupes de verbes presque tous irréguliers en :

- vol- u, pol-u...: la finale "-u" s'étend sur tout le dialecte central, la plus grosse partie du dialecte sud et déborde sur les dialectes ouest et est.

- drouv-i, v(i)ni...: la finale "-i" est celle de l'ouest et de l'est. Le centre a "-u".

- Autres (irréguliers, auxiliaires...)

42. Indicatif présent:

tchanter candjî studyî fini mète

dji tchant-e candj-e stud-îye fini mèt

ti tchant-es candj-es stud-îyes fini-s mèt-s

i tchant-e candj-e stud-îye fini-t mèt

nos tchant-ans candj-ans stud-ians fini-ch-ans mèt-ans

vos tchant-ez candj-îz stud-yîz fini-ch-oz mèt-oz

i tchant-èt candj-èt stud-ièt fini-ch-èt mèt-èt

Rem.:

- le choix était simple pour les formes du singulier; à noter, pour la troisième conjugaison, la finale "-îye", beaucoup plus fréquente que "-èye" (est). "-îye" déborde sur le dialecte est (Condroz); v. ALW II,90 (il charrie). A la 4° conjugaison, seul le dialecte est et une partie du sud font suivre le radical d'un "h" (dji rimplih). A la 5° conjugaison singulier, seul le dialecte est fait entendre la consonne finale (dji mèt').

- 1° pers. du plur.: la finale "-ans " est la plus fréquente (est, centre, sud). L'ouest et la région de Huy-Waremme ont "-ons";

- 2° pers. du plur.: le système namurois est repris tout entier parce qu'il a l'avantage de rassembler et de représenter des formes existant un peu partout, p. ex. la finale "-oz", employée dans une bande allant du sud-namurois à la région de Malmédy, voire dans tout le domaine central (sauf pour les 1°, 2° et 3° groupes). Pour la première conjugaison, la finale "-ez" est la plus fréquente; v. ALW II,97 (vous vous levez), II,98 (pesez-moi). On peut en outre considérer que cette dernière peut se prononcer "-èz" (ouest).

- 3° pers. du plur.: la finale "-èt" est la plus courante et la seule existant dans tous les dialectes: est, centre (est de la Meuse), ouest (extrémité sud de la botte du Hainaut) et une grosse partie de l'Ardenne. Les formes "-enut / -eneut / -enèt" couvrent une partie de l'ouest et du centre; la forme "-ant" existe dans les régions de Bastogne et Neufchâteau; v. ALW II,104 (ils valent).

43. Quelques verbes régulièrement irréguliers:

- infler ® il infèle : seule une petite région (Beauraing, Gedinne) a il infule.

- mostrer ® i mostère: forme existant au centre (Brabant, Namur), à l'est (Hesbaye, Condroz, Malmédy), au sud (Bastogne...) et à la frange est du dialecte occidental. "-eûre" n'existe que dans la région liégeoise, "-ure" seulement dans le sud-namurois et la moitié est du dialecte sud (plus Liège au futur).

- pruster ® dji prustêye: la graphie "ê" pour recouvrir le "é" long comme le "è" long permet une fois de plus d'embrasser le domaine wallon tout entier avec une seule graphie.

Notons, en ce qui concerne pruster, mostrer et autres verbes du même genre, que les formes décrites ci-dessus peuvent cohabiter (comme c'est d'ailleurs déjà le cas dans certaines régions) avec les formes dji prusse et dji mosse.

- Presque partout, les verbes en "-uwer", "-ouwer", "-iyî", "-oyî", etc. allongent la dernière voyelle quand la terminaison est un "e" muet: niyî ® dji nîye

44. Etre et avoir:

èsse: le domaine de èsse (est, sud, une moitié du centre) est sensiblement plus grand que celui de yèsse (ouest et moitié occidentale du centre).

avu: parmi toutes les formes attestées (en "aw-", "av-" et "oy-"), les fomes en "av-" semblent les plus fréquentes. Elles existent dans tous les dialectes (ce n'est pas le cas de "awè" ni de "oyu"). La finale en "-u", fréquente, est choisie par analogie avec divu, polu, etc.; alors que les finales en "-eûr" n'existent que dans une partie de l'est, et celle en "-wêr" dans une partie de l'ouest.

45. Indicatif futur.

Seul le présent de l'indicatif et du subjonctif et l'imparfait de l'indicatif présentent des différences d'un groupe à l'autre. Pour tous les autres temps, à tous les modes, il n'existe qu'une seule série de finale.

dji tchante-rè

ti tchante-rès

i tchante-rè

nos tchante-rans

vos tchante-roz

i tchante-ront

Rem.:

- 1°, 2° et 3° pers. du sing.: l'est et la plus grande partie du centre ont "-rè" (plus le sud dans certains cas). L'ouest et le sud ont "-ra". Les finales "-rè" sont préférée parce qu'elles permettent de simplifier le système (finales des 3 personnes du singulier identiques dans tous les cas).

- 2° pers. du plur.: le "-roz" est majoritaire; il permet en plus de tenir compte des dialectes du sud et de simplifier le système, puisque les finales sont identiques pour tous les verbes.

46. Indicatif imparfait:

Les finales du singulier sont extrêmement diversifiées. On peut les séparer en deux groupes; v. ALW II,108 (il passait), II,109 (j'étais):

- finales en "-ve" (latin -ebam) : "-éve" (1° groupe, est et centre), "-ive" (2° groupe, est, quelques points du centre), "-eûve" (tous les groupes, région namuroise);

- autres (latin -abam) : "-eu" (tous les groupes, ouest, sud et centre), "-o" (tous les groupes, sud et Brabant), "-eû" (èsse et avu à l'est, quelques points à l'ouest), "-é" (Neufchâteau), "-è", etc.

Une solution possible est de tenir compte des principales variantes des deux groupes grâce au système suivant, qui a l'avantage de reprendre des formes de tous les dialectes:

- 1° groupe (inf. en "-er"): dji tchantéve

- 2° groupe (inf. en "-î"): ti bachives

- 3° groupe (inf. en "-yî"): i studyive

- 4°, 5° groupes, irréguliers et auxiliaires: dj'èsteu, i p(o)leut, ti finicheus, èle mèteut, dj'aveu, on saveut, etc.

Les finales du pluriel ne posent pas problème:

- 1° pers. du plur.: la finale "-ins" est celle de tout le dialecte sud et d'une grande partie du dialecte central; elle existe également à l'est (Ardenne) et à l'ouest (Entre-Sambre-et-Meuse).

- 2° pers. du plur.: la finale "-îz" recouvre quasiment tout le domaine wallon ("iz" bref en Brabant).

- 3° pers. du plur.: même aire que la 1° pers. du plur.

On aurait donc:

tchanter boudjî studyî fini mète

dji tchant-éve boudj-ive study-ive finich-eu mèt-eu

nos tchant-ins boudj-ins study-ins finich-ins mèt-ins

vos tchant-îz boudj-îz study-îz finich-îz mèt-îz

èle tchant-int boudj-int study-int finich-int mèt-int

47. Indicatif passé:

L'indicatif passé n'existe plus qu'à l'est. Rien n'empêche de s'en servir ailleurs, au moins dans la langue écrite.

dji tchant-a

ti tchant-as

i tchant-a

nos tchant-îs

vos tchant-îz

i tchant-ît

48. Subjonctif présent:

dji tchant-e

ti tchant-es

i tchant-e

nos tchant-anche

vos tchant-éche vos boudj-îche vos study-îche vos finich-oche vos mèt-oche

i tchant-èche

Les formes du subjonctif présent doivent provenir directement de celles de l'indicatif présent.

- 1° pers. du plur.: la finale "-anche" couvre tout le centre et l'est ("-anhe") plus les franges contiguës des dialectes sud et ouest. La finale "-anse" ne se trouve qu'en quelques points du dialecte est. La finale "-inche" est typique du sud-wallon.

- 2° pers. du plur.: finales correspondant à celles de l'indic. présent.

- 3° pers. du plur.: idem. "-èche" couvre la plus grosse partie de l'est (variante "-èhe") et une large bande comprise entre ce dialecte et celui du centre, le nord de l'Ardenne et l'extrême sud du Hainaut (soit, approximativement, l'aire de "-èt" au présent de l'indicatif; v. carte).

Remarquons enfin que pour la 4° conjugaison aussi (fini), le radical est celui du participe présent (finichant ® qui dji finich-e, qui nos finich-anche...).

49. Subjonctif imparfait:

De même que les finales du subjonctif présent proviennent de celle de l'indicatif présent, celles du subjonctif imparfait proviennent de l'indicatif passé.

dji tchant-ache

ti tchant-aches

i tchant-ache

nos tchant-inche

vos tchant-îche

i tchant-inche

50. Participe passé:

tchant-é / -êye

candj-î / -îye

stud-yî / -yîye

fini / -îye

mèt-u / -ûwe

Rem.:

- 1° groupe: rappelons encore que la finale "êye" peut se prononcer avec un "é" long ou un "ê" long.

- 2° groupe: l'ouest et le sud-namurois ont un "i" bref.

- 5° groupe et le féminin: les finales de l'est sont plus proprement wallonnes (candj-èye, stud-èye, mèt-ou, mèt-owe)... Mais elles n'existent que là. Les formes choisies, bien que plus proches du français, sont aussi beaucoup plus courantes: la finale "-îye" déborde d'ailleurs sur le dialecte est (Condroz); v. ALW II,90 (il charrie). La finale "-u" est utilisée dans les dialectes de l'ouest, du centre et du sud (la plus grande partie). La finale "-ou" couvre l'est et une frange du dialecte sud (région de Marche). Parmi les nombreux correspondants féminins, "-ûwe" semble le plus fréquent.

51. Participe présent: tchant-ant, candj-ant, studi-ant, finich-ant, mèt-ant

52. Conditionnel présent:

Voir imparfait + futur:

dji tchante-reu

ti tchante-reus

i tchante-reut

nos tchante-rins

vos tchante-rîz

i tchante-rint

53. Verbes irréguliers:

Souvent, une forme verbale irrégulière cohabite (soit dans deux dialectes différents soit dans un même dialecte) avec une forme régulière. Il semble alors logique de privilégier la forme la plus régulière. C'est là le premier critère de choix adopté, et il permet très fréquemment de dégager une forme normalisée. Exemples:

trover ® dji trove (et non dji troûve)

pèzer ® dji pèze (et non dji peûze)

touwer ® dji toûwe (et non dji towe)

miner ® dji mine (et non dji mon.ne)

avancî ® dj'avance (et non dj'avancîye)

crèche ® dji crèche (et non dji cré; de même: rèche, tèche)

prinde ® nos prindans (et non nos purdans)

toumer ® èle toume (et non èle tome)

etc.

Dans les autres cas, il faut étudier des grammaires ou les descriptions morphologiques disponibles afin de déterminer quelle forme irrégulière est majoritaire; à défaut d'une forme majoritaire, quelle forme est la plus répandue (si possible la plus "éparpillée" à travers le domaine wallon), quelle forme est la moins irrégulière et / ou la plus compréhensible par tous.


L. Hendschel, 1994.


(Back page menu Laurent Hendschel) Hay ervoye sol pådje minrece da Lorint Hendschel.

(Back homepage wallon commun) Ralans sol mwaisse-pådje do rfondou walon